vendredi 5 mai 2000

La télévision est-elle une source de méfaits ?

« Vous pouvez prêcher la sottise
« Même en écrire à votre guise
« L’âme et le corps n’en souffrent point
« Et tout en reste au même point
« Cette même sottise en image
« Réduit par magique apanage
« En tenant les sens enchaînés
« L’esprit à la servilité. »

Goethe (Zahne Xenien II)

— « Goldorak poursuit Martin jusque dans son lit. Chez lui, le récepteur fonctionne quasiment en permanence. Certaines nuits, le robot envahit ses rêves.
“J’avais peur, je voyais Goldorak dans mes yeux quand je dormais” ». (1)

— « C’était seulement pour s’amuser, maman ! Pour faire comme à la télévision ! C’était pour s’amuser ! » La petite soeur est recroquevillée par terre, la langue sortie de la bouche, les joues violacées ! Elle a une corde serrée autour du cou... Après deux jours à l’hôpital la petite Karine rentre chez elle. Elle se souvient qu’elle jouait « à la torture » avec son grand frère et puis plus rien... (2)

— Roney est un assassin de quinze ans qui a tué sa voisine âgée de quatre vingt trois ans. Lors du procès, son avocat plaide l’irresponsabilité affirmant que l’adolescent est « empoisonné et perverti » par la violence des programmes télévisés qu’il regarde continuellement. Son idole, la vedette de la série Kojac, est même citée comme témoin. La mère de Roney confirme que son fils lui vouait une admiration sans bornes. (3)

Des opinions contradictoires



Il n’y a sans doute pas de clichés plus profondément enracinés que ceux concernant la télévision. Il suffit d’aborder le sujet pour entendre aussitôt la même ritournelle :

— « La télévision, quel merveilleux instrument ! Quel excellent moyen d’occuper le temps libre, les loisirs... »

— « Et puis, quel formidable outil d’éducation, de formation de la jeunesse... »

— « C’est une source d’information unique, la reine des médias, qui fait reculer les ténèbres de l’ignorance... »

— « Aujourd’hui il est de toute façon impossible de vivre sans télévision... »

— « Enfin, la télévision est une véritable fenêtre ouverte sur le monde, sur toutes les cultures ; grâce à elle, la Terre se transforme en un village planétaire... »

Et pourtant, et pourtant ! Tous les jours des milliers de personnes se plaignent amèrement du petit écran. En fait de loisirs, la télévision abreuve ses fidèles de violence, de vulgarité, et de pornographie... Cette reine des médias est aussi celle que l’on croit le moins, celle dont la désinformation est la plus criante, avec de véritables scandales, des « Timisoara » et des « marées noires » du Golfe sans nombre...

Un instrument d’éducation dites-vous ? Mais de quelle éducation ? L’analphabétisme fonctionnel s’étend largement, l’usage de la langue s’appauvrit de jour en jour, les professeurs se plaignent de l’apathie intellectuelle de la plupart de leurs élèves...

Impossible de vivre sans télévision ? Mais savez-vous qu’aujourd’hui plus d’un million deux cent mille foyers en France n’ont pas de télévision et disent en vivre mieux ? Et que 12%des cadres supérieurs et des professions libérales n’ont pas de poste de télévision à la maison ? (4)

Quant à la fenêtre ouverte sur le monde et au village planétaire, le nombre de ceux qui déplorent le brassage multi-culturel et la perte de leur propre identité, de leur propre culture, ne cesse lui aussi de s’étendre...

Alors, le moins que l’on puisse dire c’est que les avis semblent partagés. Au cri d’alarme des parents, des médecins, des éducateurs, des sociologues, qui dénoncent les effets pervers de la télévision sur les enfants — aussi bien sur le plan physique que psychique — répondent les allégations des faiseurs de spectacle, reprises par les « critiques » à leur dévotion et par quelques autres idiots-utiles :

— Selon ces derniers, il ne serait pas sûr que les mauvais spectacles (violence, immoralité, vulgarité etc...) aient une quelconque influence sur le public...

A cela, le simple bon sens suggère plusieurs réponses.

D’abord, un parallèle avec le phénomène publicitaire : si des entreprises paient des sommes énormes pour faire la publicité d’un produit, c’est bien parce que le téléspectateur finit par se faire influencer et par acheter tel ou tel savon, telle ou telle boisson, qu’on lui a montrés à la télévision.

D’autre part ces mêmes personnes jugeraient elles innocent de diffuser des émissions de caractère raciste, antisémite, faisant l’apologie du nazisme, diffusant des discours d’Hitler etc... ? Personne ne voudrait risquer de voir une partie du public suivre l’idéologie ainsi présentée. Alors pourquoi n’en serait-il pas de même avec la violence, la pornographie, la nullité ?

En outre, les promoteurs du spectacle télévisuel finissent par jeter le masque. Ainsi, Pascale Breugnot de TF1, la « papesse »de ces émissions qui prétendent montrer la réalité de la vie quotidienne, avoue en fait truquer ses émissions dans le but « d’éduquer » le public, et de faire une psychanalyse collective par petit écran interposé.

La télévision influence profondément le public, surtout les plus jeunes et les plus faibles ; et ceux qui font les programmes le savent parfaitement.

Certains objecteront aussi que c’est « l’audimat » qui dicte sa loi. La masse étant plus attirée par le sang, le sexe et la bêtise, il n’y aurait rien à faire. C’est faux. La mesure d’audience ne reflète pas la demande du public.

Le public n’a pas le choix. Il regarde ce qu’on lui propose. L’audimat est le miroir de l’offre. La télévision crée une véritable dépendance : le téléspectateur s’abrutit souvent devant le petit écran en pestant contre la qualité des programmes. Le lendemain il dira : « si vous saviez quelle horreur on a vue hier ! ». Assimiler l’audience à la demande est un abus qui conduit à rétrécir la qualité et la diversification de l’offre. Les coupables sont les programmateurs et non le public.

Enfin, et surtout, quantité d’études, dont le caractère scientifique ne peut être mis en doute, dénoncent aujourd’hui les méfaits dont la télévision se rend coupable.

Le public ignore souvent l’ensemble de ces études.

Il ignore également qu’à la phrase convenue : « si la télévision avait de bonnes émissions, quelle merveille ce serait », des spécialistes du monde entier ont une réponse terrible...

Un ensemble impressionnant de données scientifiques ignorées du public
Après plusieurs décennies d’utilisation de la télévision, le comportement de milliers de jeunes téléspectateurs a été observé dans les conditions les plus diverses.

Les témoignages de parents, d’enseignants et d’enfants ont été recueillis par des spécialistes de tous ordres. Les données ont été utilisées de façon scientifique, des conclusions ont été formulées et des mesures ont été recommandées. Mais le grand public en est resté au « il paraît que », « il n’est pas sûr », « rien ne prouve », « si la télévision était bonne elle serait moins mauvaise » et autres balivernes ! Des médecins, des éducateurs, des psychiatres, des sociologues, des psychologues, en Europe, au Japon, et surtout aux Etats-Unis, se sont penchés sur la question. Ainsi, à titre d’exemple :

Aux Etats-Unis, d’où nous viennent la plupart des séries télévisées, plus de 1000 thèses ont été consacrées en vingt ans aux effets de la violence télévisuelle :
toutes, sans exception, concluent à la responsabilité du petit écran dans l’augmentation de la délinquance. Par ailleurs, des sociologues de l’université de San Diego ont conclu, après avoir étudié plus de 2.000 cas, que les suicides d’adolescents survenaient, en général, peu après une émission ayant montré un suicide.

En Europe, d’autres chercheurs sont parvenus à des points de vue identiques. En 1978, par exemple, le rapport Belson étudie le comportement de 1565 jeunes Londoniens et conclut que la violence à la télévision réduit les inhibitions à l’égard des armes à feux.

En 1980 un chercheur suédois de l’université de Lund publie les résultats de dix ans d’enquête menée auprès de 2.000 enfants. Il en tire une sorte de loi : les enfants de 4 à 14 ans ayant passé plus de vingt heures par semaine devant leur poste de télévision auraient 15% de risques de plus que les autres de développer des attitudes maniaques ou agressives. Une analyse qui rejoint celle de Liliane Lurçat, directrice de recherche au CNRS, qui déclare que le spectacle de la violence est contagieux, il a tendance à transformer les spectateurs en agent ou en victime.(5)

Dans les pages qui vont suivre, le lecteur trouvera un aperçu de ces observations scientifiques et de leurs conclusions respectives qui abordent les domaines pédagogique, psychologique, médical et sociologique. Ces documents lui permettront de mieux s’informer, de réfléchir, de juger par lui-même, et éventuellement d’agir en connaissance de cause.

C’est à cette vue d’ensemble que nous l’invitons à présent.

== Notes =
1. Le Point, 24/10/88.
2. Cf. coupure de presse de la revue Maxi, sans date, fournie par un adhérent d’Avenir de la Culture.
3. Cf. Le Figaro-Madame, septembre 1986.
4. Cf. Télérama 19/4/89.
5. Cf. L’Événement du jeudi, 16 au 22 août 1990.